Il y a quatre ans, Oscar Pistorius se voit refuser le droit de participer à la compétition de sprint des JO de 2008. Ses prothèses sont en effet considérées comme des « jambes bioniques », plus performantes que des « jambes normales », ce qui lui confèrerait un avantage par rapport à ses concurrents. La décision est par la suite corrigée, et il est autorisé à participer aux qualifications. Cependant, il échoue et participe finalement aux Jeux Paralympiques, où il remporte trois médailles d’or.
L’histoire de Pistorius a fait la une, mais « l’affaire Pistorius » est-elle un cas isolé ou plutôt le sommet de l’iceberg ? Il faut prendre en considération tous les nouveaux matériaux et technologies susceptibles d’« aider » les athlètes à améliorer leurs performances. La technologie ne fait-elle pas partie de n’importe quel sport, d’une façon ou d’une autre ? Et le cas échéant, où se trouve la limite entre ce qui est « juste » et « injuste » ?
À l’approche des JO de 2012 qui se tiendront l’été prochain, nous avons déjà appris que certains athlètes comptaient utiliser un nouveau genre de maillot de bain garantissant le niveau de résistance le plus bas possible, et nous verrons certainement les athlètes porter de nouvelles chaussures, de nouvelles tenues de sprint et même de nouvelles lunettes de soleil qui sont non seulement seyantes mais permettent en plus de meilleures performances. Ces dernières décennies, des technologies innovantes ont été abondamment utilisées pour concevoir et produire des équipements sportifs plus performants. Alors que de nouveaux produits faisaient leur apparition, la mince frontière entre ce qui représente un équipement « juste » et « injuste » a commencé à se déplacer. Prenons par exemple le cas d’une combinaison de natation qui a été proscrite par la FINA, la Fédération Internationale de Natation, car elle était fabriquée à partir de matériaux favorisant « la vitesse, l’endurance et la flottabilité ». Les nanotechnologies ouvrent désormais la voie à toute une série de nouvelles possibilités, encore plus sophistiquées : des textiles avec des capteurs intégrés, des chaussures capables de suivre et de contrôler les performances d’un athlète, des patchs cutanés qui surveillent les paramètres physiologiques. Même si la plupart de ces équipements en sont encore au stade de l’élaboration, il est tout à fait possible qu’ils deviennent une réalité dans un avenir proche. Et ce jour-là, nous serons bien obligés de composer avec de nouvelles questions en matière d’équité, par exemple : si un athlète porte un patch cutané qui change de couleur lorsque son niveau de déshydratation devient critique, bénéficie-t-il d’un avantage déloyal ?
Il est souvent affirmé que la nanotechnologie est une technologie habilitante. Et si elle permettait de transformer les Jeux Olympiques en un univers où les athlètes peuvent remporter la victoire en fonction des capteurs intégrés à leurs vêtements, du type de maillot, de combinaison de natation, de pantalon et de chaussures qu’ils portent ? Au bout du compte, la victoire reviendrait à la quantité de technologie qu’un athlète est en mesure de s’offrir.
À l’occasion des Jeux Olympiques, les humains repoussent leurs propres limites pour voir qui peut sauter le plus haut, courir le plus vite et se concentrer le mieux. L’une des raisons à cela est que le public se rassemble pour assister à des performances exceptionnelles et voir des records du monde battus : c’est bien ce qui rend le sport si populaire. Il n’est donc pas étonnant que face à cette compétition, nous nous posions des questions d’ordre social et éthique, en essayant de délimiter la frontière (déjà fragile) entre ce qui est acceptable et ce qui ne l’est pas dans le sport, et de définir ce qui conduit à de « meilleures performances » et ce qui mène à une « amélioration humaine ». Nous savons que les nanomatériaux sont déjà en cours d’étude dans le domaine médical pour rétablir des fonctions perdues ou endommagées, comme les nanomatériaux pour la régénération osseuse ou la régénération neuronale. Et si ces traitements étaient utilisés pour améliorer le corps humain ? Par exemple, des scientifiques sont en train de mettre au point des dispositifs cérébraux miniaturisés pour contrôler les tremblements de patients atteints d’affections neurologiques. Et si ce genre de dispositifs était utilisé pour renforcer la concentration des athlètes pratiquant le tir ? On peut également imaginer le scénario suivant : un athlète a un accident qui réduit en miettes l’un de ses os, et il suit un traitement osseux qui le rend « plus performant qu’avant », en recevant par exemple un substitut osseux plus résistant qu’un os normal. Doit-on lui interdire de participer aux Jeux Olympiques ? Doit-il participer aux Jeux Paralympiques à la place ?
À terme, les Jeux Olympiques pourraient se transformer en une quête de la technologie la plus performante et des traitements médicaux les plus innovants, destinés à permettre aux hommes de dépasser leurs limites. D’une certaine façon, c’est déjà le cas. La nanotechnologie pourrait permettre de passer à une étape supérieure, et rendre très difficile la distinction entre une « performance naturelle » et une « performance améliorée ».